« Tant que l’on ne connait pas les consignes, on ne retourne pas sur le chantier »

Publié le 23/03/2020

Samuel Minot est président de la Fédération BTP Rhône et Métropole.

Les propos de Muriel Pénicaud dénonçant la semaine dernière sur LCI « le défaitisme » des professionnels du bâtiment vous ont-ils choqué ?  

Oui. Il y a une anxiété forte de nos chefs d’entreprises. On ne comprend pas le double langage du Gouvernement qui appelle à rester confiné et qui incite à continuer les chantiers. Les propos de Muriel Pénicaud sont scandaleux, tout comme cette épée de Damoclès de refuser le chômage partiel à certains dossiers au prétexte que le BTP n’est pas une activité suspendue. C’est comme si l’on disait à nos salariés d’aller au front et d’être de la chair à canon.

Quelle est la situation aujourd’hui ? Combien d’entreprises ont-elles suspendu leur activité ?

80% de l’activité du BTP est arrêtée, soit 40 000 salariés en chômage partiel dans le Rhône. Une partie des entreprises continue : celles qui effectuent des travaux d’urgence, celles qui interviennent sur des sites stratégiques (centrales nucléaires, raffineries, réseaux gaz…), les sociétés de dépannage, celles qui font de l’entretien sur des sites hospitaliers… Une entreprise en plein désamiantage ou en plein renforcement d’une structure ne peut pas s’arrêter non plus du jour au lendemain. Ce que le BTP a obtenu vendredi dernier, c’est le droit à l’activité partielle, et le droit d’une pause pour réfléchir à adapter nos processus d’intervention avec notre organisme de prévention, l’OPPBTP.

C’est pour établir un guide de bonnes pratiques ?

Oui. Il doit définir des protocoles d’intervention sur les chantiers. On devrait le connaitre demain ou après demain (mardi ou mercredi, ndlr). Il s’agit de savoir quelles professions et quels types d’activité peut continuer à travailler. Mais ce serait illusoire de croire qu’en quatre jours, l’OPPBTP puisse trouver des protocoles pour tous les corps de métiers, dans toutes les situations possibles. Il faudra ensuite que chaque entreprise travaille avec son comité social d’entreprises (CSE). Mais la priorité est sanitaire.  Tant que l’on ne connait pas les consignes de ce guide pratique, on ne retourne pas sur le chantier. Le mot d’ordre est clair.

Une fois ce guide établi, ce sera aux entreprises de décider de reprendre ou pas ?

Oui. Il faut que chaque chef d’entreprise soit protégé dans son choix de reprendre ou de ne pas reprendre les chantiers. La première préoccupation, c’est la santé des salariés.

Vous pensez possible une reprise prochaine de l’activité ?

S’il y a une simili-reprise, ce ne sera pas avant la fin de la semaine ou la semaine prochaine. Et sous réserve que le confinement ne soit pas renforcé dans ces prochains jours.

Quel type d’activité peut, selon vous, continuer ?

Un artisan qui travaille tout seul dans un appartement vide, il peut reprendre son travail. Il faut en revanche limiter le travail à plusieurs, ce qui bloque les gros chantiers. Les machines électro-portatives comme les disqueuses, ponceuses, cisailles… passent de main en main. Quand on monte une échelle, même si en étant à trois mètres de distance, on touche les mêmes barreaux. Il ne faudrait pas non plus que les règles sanitaires viennent contredire les règles de sécurité. Par exemple le guidage de charges lourdes qui se fait à plusieurs. Le travail seul, isolé, est parfois très dangereux.

Vous êtes donc pessimiste pour la suite…

Je suis pragmatique. Aujourd’hui je ne vois pas comment ces chantiers pourraient redémarrer comme hier. En chefs d’entreprises responsables, nous protégerons toujours nos salariés en priorité.

Des chantiers sont-ils seulement reportés ou sont-ils parfois annulés ?

Selon la volonté des maîtres d’ouvrage, certains chantiers sont d’ores et déjà fermés, donc reportés. Les particuliers, massivement, ne veulent plus d’entreprises chez eux. Certains ont reporté les interventions, d’autres les ont annulées. Des entrepreneurs m’ont fait part d’annulations de commandes. Beaucoup d’entreprises sont fragiles dans le BTP. Il va y avoir des impacts très forts.

Est-ce que l’arrêt de deux ou trois mois complique un chantier ?

Non. Mais pourrons-nous réellement invoquer le cas de force majeure pour suspendre les délais d’intervention et décaler les délais de livraison ? Nous en avons fait la demande.

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